mercredi 31 décembre 2014

Predestination (2014)


Cela faisait longtemps qu'un film échoué au rayon direct-to-video n'avait été l'objet d'une chronique dans ces colonnes. Mais, grâce (ou à cause) à une campagne publicitaire habile, "Predestination" a attiré mon attention. Pensez donc : du voyage dans le temps et ce qui s'annonçait comme un film à vous retourner le cerveau, n'ayant pas eu droit aux salles obscures, autant dire du pain béni pour ce blog. 

L'homme qui tient le bar n'est pas ce qu'"il semble être, comme va le découvrir John, avec qui il entame la discussion. Il fait partie d'une organisation qui maîtrise le voyage temporel. Après avoir écouté l'étrange et poignante histoire de John, qui fut auparavant Jane, cet étrange voyageur, à la poursuite d'un dangereux terroriste qui menace l'équilibre mondial, va confier son secret à son nouvel ami. 
De toute façon, il doit finir sa mission, puis renoncer à son statut si particulier, quelles que soient les conséquences...

Tiré d'une nouvelle de Robert A. Heinlein, à qui l'on doit quelques textes majeurs de la science-fiction (comme "Etoiles, garde à vous !" qui inspira "Starship Troopers"), "Predestination" a le mérite de l'audace. S'attaquer au voyage dans le temps et aux inévitables paradoxes qui en sont le corollaire exige un certain talent pour que l'oeuvre soit réussie. On en a vu plus d'un se casser les dents sur pareil exercice. Non content de s'y frotter, les frères Spierig se sont attaqués à un texte qui évoque aussi l'identité et ce qui fait qu'un individu est ce qu'il est. A ce titre, le parcours de Jane/John, dont le compte-rendu phagocyte une bonne partie du film, est déjà une histoire dans l'histoire, et pourrait presque se suffire à lui-même.

Les deux réalisateurs allemands de cette production australienne, déjà repérés avec "Daybreakers" (avec Ethan Hawke, déjà), ont une patte, il faut leur reconnaître cette qualité. Le film possède indéniablement une identité visuelle et narrative, qu'il s'agisse du design général ou du rythme imposé au récit. Ils ont également une véritable audace, puisqu'à ce qui aurait pu n'être qu'un bon petit thriller de science-fiction, ils ajoutent une couche de complexité en s'attaquant à des questions quasi-existentielles.
C'est sans doute là leur erreur, puisque la dernière partie du film en pâtit lourdement, faute d'une vraie clarification. Partant de la grande question "l’œuf ou la poule ?", "Predestination" perd son spectateur en ne bouclant pas totalement la boucle (ou les boucles, d'ailleurs, j'ai un doute) du début du film. Bien évidemment, cette approche peut être vue comme une invitation au spectateur : prenez les commandes et décidez de ce qu'est la fin (ou le début, là aussi, j'ai un doute) du film.

Porté par un Ethan Hawke dans un de ses meilleurs rôles, et par une Sarah Snook remarquable dans celui d'un personnage inattendu et subissant des transformations physiques non négligeables, le film manque néanmoins d'une véritable colonne vertébrale, à mes yeux. Les motivations des personnages auraient gagné à être mieux définies, les enjeux à être franchement tracés.

On portera au crédit de "Predestination" une atmosphère, un design indéniable, ainsi qu'une ambition à saluer. N'eût été un brin de confusion dans sa résolution, nous aurions pu célébrer une grande réussite. A défaut, c'est déjà un très bon moment.


vendredi 26 décembre 2014

Kidon (2013)


Les services secrets iisraéliens plus connus sous le nom de Mossad, ont déjà donné lieu à quelques adaptations au grand écran. On se souvient par exemple, du brillant "Munich" ou de l'efficace "Les patriotes". Récemment, une production franco-israélienne réalisée par Emmanuel Naccache, a mis en scène ce service à la réputation mondiale : "Kidon" (du nom du service du Mossad chargée des "éliminations") était cependant un film de divertissement plus qu'un thriller d'espionnage (tout en s'inspirant de faits réels), comme l'annonçait sa tagline, résolument orientée vers la comédie ("Le plan est parfait, l'équipe un peu moins"). Pour autant, le succès public ne fut pas au rendez-vous dans l'Hexagone.

C'est la panique dans les bureaux du Mossad. La presse vient de révéler que quatre membres de cette agence de renseignements ont été filmés après avoir assassiné Mahmoud-al-Mabhou, un des hauts responsables du Hamas. Les responsables du Mossad sont les premiers surpris, les coupables ne faisant pas partie de leurs services. Ils pensent donc qu'une opération a été montée à leur insu. La mort de Mahmoud-al-Mabhou risque cependant d'avoir des conséquences fâcheuses. 

Dès les premières séquences de "Kidon", le doute est permis. Louchant vers le film d'espionnage, le long métrage d'Emmanuel Naccache se donne des airs de "Ocean's eleven". Soit, l'exercice peut être intéressant, mais il nécessite un immense talent et, surtout, un scénario en béton armé. Quand, en plus, l'histoire qui est contée ambitionne de manipuler son spectateur et ses personnages, le dit scénario doit, en plus d'être complexe, rester lisible. C'est là le plus grand défaut du film. Très vite, le spectateur est laissé sur place et renonce à comprendre ce qui se passe à l'écran, se contentant d'une impression d'ensemble. 

Malgré une bande-son intéressante, la réalisation, souvent trop lente, n'arrive pas à donner la cohérence nécessaire à cette histoire mêlant espionnage et manipulation sur un ton mi-sérieux, mi-parodique. Pas assez drôle (notamment au niveau des dialogues, sans relief) pour qu'on s'amuse et ne mettant jamais ses personnages en réel danger, "Kidon" n'est pas non plus réussi, si l'on considère son versant "sérieux".

Du côté de l'interprétation, c'est là aussi un constat d'échec qui s'impose. Tomer Sisley, en cerveau de la bande, est égal à lui-même (c'est-à-dire qu'on voit l'acteur alors qu'on devrait voir le personnage), Kev Adams n'est guère crédible dans son rôle de hacker, tandis que Lionel Abelanski a du mal à donner de la crédibilité au sien. Quant à la très belle Bar Refaeli, elle aura droit à l'indulgence du jury, eu égard à sa très jolie plastique (qui compense son piètre jeu). Et ce ne sont pas les apparitions d'Hippolyte Girardot ou d'Elodie Hesme qui suffiront à nous consoler. 

A vouloir gagner sur tous les tableaux, "Kidon" finit par échouer sur tous. C'est dommage, car l'exercice avait, comme je le disais en exergue, un réel intérêt. On sort de ce film en se demandant si l'on a vu une parodie de film d'espionnage ou une histoire d'arnaqueurs amateurs. Quelle que soit l'option choisie, le verdict est cependant sans appel : c'est un film à oublier.






dimanche 21 décembre 2014

On a failli être amies (2014)


Quand, sur l'affiche d'un film, trônent les noms d'Emmanuelle Devos et de Karin Viard, j'ai tendance à me réjouir. Ces deux actrices, dans mon palmarès personnel, sont placées très haut sur l'échelle de l'admiration. Vous comprendrez donc, chères lectrices, chers lecteurs, que je me sois intéressé à "On a failli êtres amies", réalisé par Anne Le Ny, qui avait déjà été remarquée pour "Ceux qui restent" ou "Les invités de mon père". Pour sa dernière réalisation, la réalisatrice n'avait guère déchaîné les foules, malgré des critiques plutôt positives. 

 Marithé est formatrice pour adultes. Parmi ses élèves, majoritairement issus de plans sociaux et de reconversions forcées, se trouve Carole, femme de Sam, un restaurateur très en vue, plein d'énergie. S'attachant peu à peu au cas de Carole, Marithé va vite se rendre compte qu'elle est peu heureuse de son mariage et aspire à une nouvelle vie. De son côté, la formatrice découvre qu'elle est loin d'être insensible à la cuisine de Sam et à son charme.  

Anne Le Ny, actrice souvent remarquée dans des seconds rôles (je songe notamment à sa présence dans "Le goût des autres") est également une réalisatrice à qui l'on doit de jolis films. "Ceux qui restent", par exemple, abordait avec délicatesse un thème grave (la fin de vie et ce qu'il advient de ceux qui restent, comme dit le titre). Son film suivant, "Les invités de mon père", même s'il ne tenait pas toutes ses promesses et perdait en chemin son intérêt, valait encore le visionnage pour ses acteurs. Son dernier opus, "On a failli être amies", confirme hélas le diagnostic précédent. Commençant sur un ton social, il s'aventure sur le délicat chemin des relations amicales, fussent-elles intéressées ou factices, avant de se fourvoyer sur le terrain du vaudeville. 

Alors que l'émotion était palpable sur "Ceux qui restent" (avec, déjà, la délicieuse Emmanuelle Devos), celle qui aurait du alimenter chaque respiration des personnages de "On a failli être amies" est presque évanouie. Devenant vite téléphonée, l'histoire qui nous est contée perd vite tout intérêt, ainsi que (hélas) ses protagonistes. C'est d'autant plus dommageable que les deux interprètes principales donnent l'impression d'être sous-utilisées, endossant le rôle de personnages dont, finalement, on se fiche un peu. La lumineuse Emmanuelle Devos et l'énergique Karin Viard, épaulées par un Roschdy Zem qui réussit à être crédible en orfèvre de la gastronomie, ont beau faire de leur mieux, on ne s'attache pas à leurs destins. 

Il y a de quoi regretter le traitement du sujet. L'amitié entre ces deux femmes, qu'elle soit fondée sur de véritables sentiments ou sur des intérêts plus bas, aurait pu donner lieu à un film intéressant. Ce n'est pas le cas, cette fois. 
On a failli voir un bon film.


mardi 16 décembre 2014

Tristesse club (2014)


On s'est suffisamment lamenté (moi le premier) sur le naufrage de la comédie française pour snober les tentatives d'une jeune génération de renouveler le genre. Vincent Mariette, après trois courts métrages et quelques scénarios ça et là, nous offrit cette année son premier film, "Tristesse Club", qui mettait à l'affiche Vincent Macaigne (dont j'ai déjà dit le plus grand bien au sujet de "Deux automnes trois hivers"), Ludivine Sagnier et Laurent Lafitte-de-la-Comédie-Française. Malgré cette belle affiche, le film attira à peine 50 000 spectateurs en France. Était-ce mérité ?


Bruno et Léon, deux frères que tout oppose, se trouvent réunis suite à l'annonce du décès de leur père, qu'ils ont perdu de vue depuis quelque temps déjà. Sautant dans la Porsche 944 de Léon, ils se rendent au crématorium où doit avoir lieu la cérémonie et y font la connaissance de Chloé, une énigmatique jeune femme prétendant elle aussi être la fille du défunt. 
Mais de cérémonie, point. Parce que le père en question n'est pas mort, à en croire Chloé. Il a simplement disparu et elle compte sur les deux frères pour l'aider à le retrouver...sans leur avoir tout dit, cependant...

Classer "Tristesse club" dans la catégorie des comédies, c'est y aller un peu fort, même si ce n'est pas totalement faux. On y sourit souvent, mais les zygomatiques restent épargnés. En faire un drame, c'est tout aussi abusif. Certes, l'émotion est souvent là, tapie, prête à sauter sur le spectateur un peu vulnérable, mais ce n'est pas un film qui meurtrit le cœur ou l'âme. "Tristesse club" est, s'il faut absolument le définir, un voyage initiatique qui se penche sur le sort d'adultes pas tout à fait murs pour la vie. Léon et Bruno, avec leurs différences et leurs conflits, vont, comme on peut s'en douter, apprendre à se connaître mieux avant de pouvoir entreprendre la quête proposée par Chloé. Le ton employé par Vincent Mariette est tout à fait adapté au sujet : le réalisateur pose sur ses personnages et leur histoire, finalement toute simple, un regard dénué de jugement, tout en respect.

Si le scénario est remarquable de simplicité, il n'en est pas pour autant simpliste et dépourvu de finesse. Porté par trois acteurs remarquables (j'ai pu me réconcilier avec Laurent Lafitte, dont le "Seize ans ou presque" m'avait bien énervé il y a peu), "Tristesse club", avec son ton doux-amer, est de ces films qui peuvent parler à tous, sans utiliser les grands moyens. En ces temps où le cinéma français donne souvent envie d'éviter les salles obscures, rencontrer un film qui sort du lot mérite d'être signalé.


Alors, oui, c'est un petit film tout simple, mais qui a une âme.
C'est déjà beaucoup.


jeudi 11 décembre 2014

David et Madame Hansen (2011)




Alors qu'il rencontre en ce moment le succès public avec "Le domaine des Dieux", il m'a semblé pertinent de jeter un coup d’œil au film précédent d'Alexandre Astier, créateur de "Kaamelott". A l'opposé de sa récente adaptation des aventures du Gaulois le plus célèbre du monde, "David et Madame Hansen", malgré la présence à l'écran d'Isabelle Adjani, sortit presque en catimini et fut un échec commercial. En méritait-il autant (ou si peu, d'ailleurs) ?

David, ergothérapeute dans une clinique suisse, se voit, à la faveur d'un remplacement, confier une étrange patiente, Madame Hansen-Bergmann. Cachée derrières ses lunettes noires et ses longs cheveux blancs, cette femme étrange et visiblement fortement perturbée (elle peut être violemment provocante puis sombrer dans une profonde détresse) doit être accompagnée par David pour une promenade en ville. Entre le soignant, encore plein des idéaux de sa mission et la patiente, que la vie a abîmée plus qu'on ne peut l'imaginer, une étrange relation va se construire.

Alexandre Astier est un véritable homme-orchestre, comme on a déjà pu le voir sur sa déjà culte série "Kaamelott". Réalisateur, acteur, scénariste et compositeur, il a porté ce film du début à la fin, avec une foi qui force le respect, tant elle se respire du début à la fin. Traitant du traumatisme avec finesse, cette oeuvre n'est clairement pas ce qu'on pouvait attendre du réalisateur pour son premier film, jusqu'ici catalogué dans le registre des comiques. Si quelques dialogues affichent la saveur et le piquant qu'Alexandre Astier sait leur imprimer. L'homme affirme ici, une fois de plus, son talent de dialoguiste et son amour des mots. Il faut dire que la distribution est au diapason de la belle partition préparée pour elle. Hormis le réalisateur-scénariste, qui s'est réservé l'un des rôles-titres (ce qui ne veut pas dire pour autant que la tâche soit aisée), la prestation exceptionnelle d'Isabelle Adjani démontre, s'il en était besoin, que l'actrice n'a rien perdu de son talent. Capable d'agacer comme d'émouvoir aux larmes, celle qui est un monument du cinéma français fait montre de sa grâce, intacte après toutes ses années où elle fut trop rare. Il ne faut cependant pas occulter le reste du casting : mêmes les rôles les plus secondaires sont remarquablement bien tenus, et on saluera les performances de Julie-Anne Roth et de Victor Chambon, notamment. 

Après les lauriers que je viens de tresser à ce petit film, souligner ses quelques défauts peut paraître délicat. Pour un coup d'essai, "David et Madame Hansen" n'en est pas pour autant un coup de maître. On pourra lui reprocher quelques facilités, mais c'est sans doute parce que ce film cherche la lumière dans les ténèbres de l'âme, au fin fond de la détresse. Est-ce pour autant une erreur que de vouloir tendre vers l'optimisme ? Idéaliser parfois trop ses personnages et leurs intentions peut être vu comme un excès de candeur, mais les spectateurs les plus indulgents y verront une envie d'espoir, gageons-le.

Traitant d'un sujet difficile et douloureux, "David et Madame Hansen", avec son fabuleux duo d'acteurs (en particulier la merveilleuse Isabelle Adjani) aurait mérité plus d'égards lors de sa sortie. Réalisé avec talent, écrit avec finesse, ce film vaut plus que le tiède accueil qui fut le sien. Alors qu'Alexandre Astier rencontre le succès populaire, ceux qui se pencheront sur son premier long métrage risquent une belle et émouvante surprise...




samedi 6 décembre 2014

Deux automnes trois hivers (2013)


Certains films disposent de scénarios surprenants, gorgés de rebondissements et de twists. D'autres, aux antipodes, se contentent de poser le regard sur des gens ordinaires et leur vie de tous jours. Dans ce registre du septième art, il est des réalisateurs qui insufflent à leurs films une dimension telle qu'on ne peut oublier ce qu'on vient de voir, en sortant du cinéma. On évoquera par exemple les grands films de l'inoubliable Claude Sautet, ou ceux d'Eric Rohmer. Pour simples qu'elles soient, les histoires de tous les jours narrées dans ces longs métrages peuvent toucher parce qu'elles sont proches de nous. 

Arman, trentenaire parisien, a décidé de changer de vie et de donner un nouveau départ à son existence. Et, pour commencer, il s'est mis à courir, chaque semaine, aux Buttes-Chaumont. Cet exercice physique lui donnera l'occasion de rencontrer Amélie, en la percutant alors qu'elle aussi se livre à son footing. Alors qu'il a renoncé à la croiser de nouveau, le destin va les faire se retrouver, alors qu'Amélie se fait agresser. 
De son côté, Benjamin, ami proche d'Arman, est victime d'un accident vasculaire cérébral et va devoir suivre une rééducation qui lui fera rencontrer une charmante orthophoniste.  

Deuxième long-métrage de Sébastien Betbeder, après "Les nuits de Théodore" , "Deux automnes trois hivers" est une chronique douce-amère, de la vie de quelques bobos parisiens, de leurs petits et grands drames, de leurs joies, de leurs peines. Il y est question d'amour, d'amitié, de culture, de famille. Rien de bien nouveau sous les projecteurs, me direz-vous. C'est vrai, vous répondrais-je, seulement, le style qu'impose Betbeder à son histoire lui donne un ton pour le moins original. Découpant son scénario en chapitres, il laisse le soin à chacun des personnages d'exprimer ce qu'il ressent et la façon dont il a vécu les événements qui vont être présentés. La démarche est originale et, pour peu qu'on y adhère, peut susciter l'enthousiasme. 

Ajoutons à cela, une interprétation pleine d'entrain et le spectateur, s'il est enclin à s'aventurer du côté du cinéma d'auteur, devrait trouver son bonheur. Vincent Macaigne, avec son look approximatif, campe idéalement le personnage principal, accompagné avec bonheur par Bastien Bouillon et la ravissante Maud Wyler, pour ne citer qu'eux. Pour qui aime les acteurs, ce film est un régal. 

Si, par contre, vous êtes en quête d'un film au scénario riche de rebondissements, à l'histoire dont l'épaisseur dépasse celle d'un ticket de métro, vous risquez d'être cruellement déçu(e)(s). En effet, malgré toute la fraîcheur qu'apportent les interprètes, Vincent Macaigne en tête (oui, je me répète), il faut bien reconnaître que "Deux automnes, trois hivers" est un film où il ne se passe pas grand chose, où les protagonistes vivent leurs existences de bobos, devisent des mérites des films de Judd Apatow et exposent leurs tourments face à la caméra, sans forcément se soucier de l'intérêt qu'ils suscitent chez le spectateur. Si ce dernier n'est pas expressément venu chercher ce genre de film, il n'aura qu'une envie : quitter la salle ou, le cas échéant, presser la touche stop de sa télécommande. 



lundi 1 décembre 2014

Simon Werner a disparu (2010)

Les années lycée laissent des souvenirs parfois amers, parfois sucrés. Dans le cinéma, lorsque cet univers est exploité, c'est soit pour des comédies souvent au ras du sol (est-il besoin d'évoquer la navrante saga "American Pie" ?) ou des drames hélas trop ancrés dans l'actualité (le film "Elephant" vient naturellement à l'esprit). Le cinéma hexagonal a rarement franchi les portes des lycées pour aller voir ce qui se passait dans cet univers clos, où entrent des adolescents et dont sortent des adultes. Fabrice Gobert, dont c'est à ce jour la seule réalisation pour le grand écran, présenta en 2010 "Simon Werner a disparu..." au Festival de Cannes (dans la section "Un certain regard"). Malgré cela, et malgré la nomination qu'il obtint pour le César de la première oeuvre, ce film n'eut guère de succès... 


Dans les années 1990, un lycée de la région parisienne est le lieu d'un étrange fait divers : Simon Werner, élève sans histoire, disparaît sans laisser de traces. Alors, parmi ses camarades de classe, chacun y va de son hypothèse. Fugue, enlèvement, meurtre, qui sait ? 

Pendant les jours qui suivent (et ceux qui précèdent, également), le mystère s'épaissit : une jeune fille s'évanouit à son tour, puis vient le tour d'un autre garçon, toujours de la même classe.

Fabrice Gobert, qui a reçu maints lauriers pour sa récente et étonnante série "Les Revenants", est un réalisateur plutôt malin. Entamant son histoire sur le ton du thriller, il n'hésite pas à secouer son spectateur, à plusieurs reprises, en changeant radicalement de direction et de thématique, pour retomber sur ses pattes avec un aplomb que beaucoup pourraient lui envier. Tour à tour teen-movie, chronique des années lycée et thriller en bonne et due forme, "Simon Werner a disparu..." est un film multiforme, qui réussit la prouesse d'être bon sous toutes ses facettes. 



L'une des grandes idées du réalisateur est d'avoir placé son histoire dans le début des années 1990, sans cependant sombrer dans la caricature. Les adolescents de "Simon Werner a disparu..." n'ont rien en commun avec ceux d'aujourd'hui : il y a chez eux plus de neurones que d'hormones. Du coup, on s'attache plus facilement à ces personnages, même si, idéalisés, ils peuvent prendre des allures de personnages de conte. Ajoutez à cela une bande originale alignant des pépites du rock des années 1990 (Noir Désir, Killing Joke, No one is innocent), entre deux plages composées par Sonic Youth (excusez du peu !) et le bonheur sera complet. 

Les jeunes interprètes du film sont, c'est à souligner, remarquablement dirigés et donnent une prestation assez juste, nous épargnant le sur-jeu qu'on pouvait craindre (même si j'émettrais quelques réserves sur la performance de la jolie Ana Girardot). Parmi ces jeunes gens, il y a fort à parier que se trouvent quelques futurs grands noms du cinéma français. 

Jouant avec malice du découpage temporel et du ton de son film, Fabrice Gobert donne ici toute l'étendue de son talent, jusqu'au dénouement, qui peut décevoir après la tension installée durant le reste du film, ou simplement être la conclusion logique de cette histoire. Basé partiellement, paraît-il, sur ses souvenirs de lycée, "Simon Werner a disparu..." est porteur d'une nostalgie de ces années, mais aussi d'une identité propre. A l'heure où l'on n'a de cesse de se lamenter sur l'état actuel du cinéma français, mettre la main sur une vraie réussite est un véritable plaisir. Il était temps !